Deux ou trois choses que je n’ai pas dites lors d’un colloque de l’école du Breuil.

Article publié le lundi 7 juillet 2014 par JPP
Mis à jour le lundi 6 février 2017

Je mets ici en exergue un texte écrit en 2014 : il résume ma vision des choses et est toujours d’actualité à l’exception près de la question des fruitiers et de celle des pieds d’arbres. Ce sont aujourd’hui des acquis des luttes et non pas de la diplomatie vaticane.

En Mars 2014, les Rendez-vous de l’école du Breuil nous invitaient à réfléchir sur "Le citoyen, la ville et les espaces verts » . J’avais cru comprendre qu’il s’ agissait de jardins dans la cité. C’est donc un malentendu qui fut la cause de ma présence à ce colloque. : on n’a pas tardé à me signifier qu’il fallait lire Ville avec un V majuscule c’est à dire Municipalité, espace vert comme Espace municipal. Un phénomène majeur n’y avait donc pas droit « de cité » à savoir l’émergence massive des jardins de pied d’immeuble gérés par ceux qui y sont logés. Pourtant, ils sont souvent bel et bien connectés avec l’espace public , voire partie constituante de cet espace comme la vaste agora sur dalle des tours de l’angle Jean-Jaurès /Petite ceinture , entretenue et améliorée par les habitants (avec de plus la création d’un potager). Cette dalle est ouverte, sans digicode. Évidence : la Ville n’existerait pas sans la ville.

Il ne fallait pas aborder les sujets qui fâchent ce jour là et mes amis me l’ont bien fait sentir dès que j’ai osé sortir des généralités et faire remonter l’expérience de terrain. Pas non plus de table ronde finale permettant de croiser les expériences. La journée s’est terminée dans une sorte de confusion : conversations privées dans la salle, bavardages interminables à la tribune. Ce fut un moment très pénible pour moi, que je n’ai pas encore bien digéré. Mais ô combien instructif.

Ce rendez-vous nous proposait un panorama de pas mal des initiatives qui visent, en région parisienne, à repenser la place du végétal dans la ville (restreinte ici à la Ville). Du plus ancien (les architectes de l’AAA qui mènent aujourd’hui la riche expérience R-Urban à Colombes) au plus ou moins récent (la Guérilla gardening). Avec Sylvie Faye (Multi Colors), sa tranquille et souriante assurance, la journée a connu un moment de grâce.

Je note cependant qu’une bonne part de la pointe la plus active et la plus intéressante du mouvement (Vergers urbains, Ville en herbes , Urbanisme et démocratie… ) n’était pas là. De même que (sauf au détour d’un extrait de film médiocre mal présenté) les cas douloureux des jardins qui ferment : Bois Dormoy , Alice, Ecobox.. . J’aurais aussi aimé entendre Gilles Amar (Sors de terre) développer sa formule riche de sens : "je jardine des usages". .

Dans un texte important (Manifeste pour une ville jardinée) Laurence Baudelet s’adresse avec force aux élus pour leur demander que les espaces de jardinage collectif trouvent leur place dans le cadre de la douloureuse révision du Plan local d’urbanisme qui s’annonce. Sous les auspices d’un consensus évident : densifier la ville pour épargner les terres agricoles. Évident mais dangereux selon l’usage que l’on en fait. Notamment : des jardins sur les toits ne sauraient servir de caution à l’absence de jardins ouverts sur l’espace public.

Des espaces de jardinage collectif pour quoi faire ? " Des espaces de sociabilité et de loisirs gratuits qui apportent du bien-être à toutes les catégories de la population et aux nombreux touristes qui fréquentent notre ville" nous dit Laurence Baudelet .. .C’est là, en termes diplomatiques, un reflet très estompé de ce qu’est l’expérience de terrain. Un texte issu des assises régionales des jardins partagés de de la région Rhône Alpes (Mai 2013) recense de façon exhaustive les services rendus à la collectivité . Je regrette simplement le titre "Plaidoyer pour les jardins partagés" : les jardins partagés n’ont plus à se faire reconnaître , à implorer la bienveillance des élus . Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg, la manifestation d’un très puissant mouvement de jardinage, urbain et citoyen, bien plus large.

Laurence Baudelet souligne fort justement la raréfaction des friches urbaines et la rotation de plus en plus rapide des constructions. Il faut en mesurer les conséquences pour l’habitant. Sur le terrain j’ai rencontré une dame ayant emménagé il y a trente ans dans les immeubles alors neufs de la Cité Michelet (19ème). Évoquant les friches d’antan, une butte aujourd’hui disparue avec des potagers sauvages, elle m’a dit "c’était la campagne". En réaction à un urbanisme qui frise la perfection mais dont, en même temps, la perfection l’étouffe, faute de pouvoir s’approprier la friche disparue, elle se tournait vers les jardins partagés..Si l’on creuse encore un peu : elle voudrait jardiner au pied de son immeuble .

Dans les années 70, il était encore possible de palier l’étouffement de la vie urbaine par le rythme des week-ends à la campagne. Même des familles dites modestes avaient accès à la résidence dite secondaire. Ce n’est plus possible aujourd’hui, il n’y a plus un caillou à vendre, Paris s’est encore éloigné de la pleine verdure, le prix de l’essence explose.

Historiquement, les premiers jardins partagés parisiens ne sont pas une initiative politique d’Europe écologie-les Verts comme je l’entends parfois .Ce furent des initiatives parties des habitants et, très souvent, ils se sont fait contre des projets de construction ( voir mon film Macadam et chlorophylle, France3, 2002) : Serre aux légumes ( avenue de Flandres), Jardin solidaire dans le XXème, Fessart . Ou encore contre les ratés de l’urbanisme : vandalisme dans le bac à sable du square Tanger-Maroc (19ème, aujourd’hui jardin Couleurs et senteurs) - . Ou vision lucide et parfois prémonitoire des architectes et des urbanistes de l’AAA (le premier Ecobox). Ou encore initiative maline d’une chargée de communication de la Compagnie parisienne de chauffage urbain Charmante petite campagne urbaine  : clin d’oeil aux habitants de l’immeuble situé en face de l’usine qui se sont battus pour la faire mettre en sommeil.. Fondamentalement, l’habitant voudrait peser ne serait-ce qu’un tout petit peu sur son environnement. Au moins le faire échapper à un formatage total.

Un jardin partagé ne se créé pas à la suite d’interminables palabres . On prend une bêche, on travaille. Au bout d’un moment , quelqu’un vient vous demander ce que vous faites là. Un peu plus tard, vous êtes plusieurs. Au bout de longues années, peut-être dix ans, il y a un jardin. Car c’est long à naître un vrai jardin.

« On ne conçoit pas un jardin dans la solitude d’un bureau, en dessinant sur un papier avec une règle et un compas, mais en interrogeant constamment le lieu. » (Marco Martella). Il m’arrive d’employer le mot de "révolution jardinière". Révolution culturelle bien sûr . Les politiques doivent bien comprendre que le jardin fait partie de ces lieux qui apportent de l’huile dans les rouages , de la soupape dans la sécurité. C’est à dire qu’ils doivent d’abord le faire accepter à l’ appareil administratif de la ville , dont le contrôle hélas bien souvent leur échappe. Cet appareil administratif et le bastion des ingénieurs datent de Napoléon 3. Cette conception de la ville et des jardins, ce mode de fonctionnement sont aujourd’hui dépassés. Quelques fonctionnaires de la Ville l’ont compris : ils sont hélas trop rares.

La révolution jardinière n’a d’ailleurs pas besoin de se décréter : elle est en marche au pied des immeuble , j’en ai recueilli de multiples témoignages à la fois dans les copropriétés et en pied d’immeuble social . Les effets de cette révolution ne sont pas garantis 100% révolutionnaires. Loin de là. Il se peut que cette vague de fond produise un jardinage aussi stéréotypé que le jardinage professionnel. Les géraniums et les bégonias , les promotions Lidl peuvent encore faire des ravages. Pour ce qui est du secteur privé, ce qui sert à faire accepter ces jardins dans les copropriétés est souvent, sur fond de crise, le besoin de faire des économies au détriment des artisans paysagistes. Ceux-ci sont victimes de la crise mais aussi du mauvais travail, industrialisé, bâclé, polluant, de 75% d’entre eux .

La révolution jardinière se réclame fermement de la défense de l’environnement mais elle a aussi la richesse d’une pensée en acte. D’une pensée jardinière. Pour matérialiser le concept de "pensée sauvage" , Lévi-Strauss donne l’exemple de la pratique contemporaine du bricolage. Le jardinage répond plus encore à ce concept : Il y va du compagnonnage immémorial de l’homme et du végétal (et de son cortège animal) : il est déjà contenu dans le geste du chasseur-cueilleur qui rapporte à l’entrée de la caverne la plante utile . Combien de ceux et celles qui écrivent aujourd’hui sur les jardins urbains ou décident pour eux ont une compréhension charnelle du geste jardinier, de la philosophie qu’elle recouvre ? « Les jardins ont toujours été à la mode parmi ceux qui n’étaient pas jardiniers » écrit Humberto Pasti (« Jardins, les vrais et les autres ») . Et aussi :« Quand on paille ou on sarcle ,quand on sème, taille, arrose, on élève une prière dont j’ignore si elle s’adresse à un dieu, et auquel, mais par laquelle on communique, au-delà les confins de notre identité et de notre psychologie, avec quelque chose d’immensément plus grand (appelons cela la nature), qui nous répond par la même voix ». Le jardinier « n’est pas au-dessus de son lieu, il est dans son lieu » (Jorn de Précy alias Marco Martella , Le jardin perdu).

Les rencontres de l’Ecole Du Breuil furent donc pour moi un révélateur : dès que l’on sort des généralités et que l’on aborde les problèmes concrets qui se posent sur le terrain, le ton change. C’est que l’écologie digérée par le système en place, revue et corrigée par lui, et qui fait aujourd’hui consensus dans la société est aussi et d’abord au sens de Guy Debord un spectacle avec toutes ses ambiguïtés. Il faut verdir la ville pour sauver la Nature. Mais d’ autres peurs (celle de la crise économique par exemple) sous-tendent le discours écologique officiel, sorte de religion commune à toute la société, et refont vite surface : il faut jardiner mais sans s’exposer à la pollution (celle du sol en particulier), sans introduire de plante invasive…On va donc le faire avec des gants et des masques à gaz, demander à la plante comme au poète ses papiers. Pour faire face au changement climatique, il faut végétaliser la ville. Un grand organisme locatif lié à la ville de Paris interdit aujourd’hui à ses locataires de mettre des balconnières à ses fenêtres . Imaginons jardinées toutes les fenêtres parisiennes : beaucoup plus simple, bien moins cher que les façades végétalisées, les toits végétalisés dont non nous rebat les oreilles. Seulement, se serait plus fatiguant pour le gestionnaire de vérifier que les balconnières sont attachées (ce que fait naturellement tout citoyen responsable) que d’interdire…Au pire, on pourrait envisager des formules juridiques , pour éviter de mouiller le parapluie de nos braves ronds de cuir.

Curieuse la dévaluation que l’usage commun fait subir aux mots. Aujourd’hui on ne dit plus « surprenant », on dit « surréaliste ». On ne dit plus - chère Fabienne Giboudeaux qui va beaucoup nous manquer- « patronage « , on dit « autogestion ».

La charte Main verte et l’existence de la Cellule « Main verte » (aujourd’hui Agence d’écologie urbaine) constituent un socle robuste sur lequel s’appuie le développement des jardins partagés parisiens. Une sorte de « guichet unique » comme le souligne la rédactrice de la charte, Laurence Baudelet. Il y a du vrai. Mais , sur la terrain, la vie est plus compliquée puisque les jardins partagés dépendent dans les faits de quatre structures : Agence d’écologie urbaine, Mairie d’arrondissement, DEVE, et , dans de nombreux cas, un(e) paysagiste. Dans une ville gérée « à l’ancienne » comme la ville de Paris, ces structures sont jalouses de leur périmètre et de leur autorité et, pour le moins, pas toujours bien coordonnées entre elles. Essayez donc de jardiner un pied d’arbre ! La Charte main verte aurait d’ailleurs beaucoup plus de poids si elle avait été discutée au lieu d’être octroyée et subie passivement par les jardiniers.

Il ne faut donc pas croire que la vie des jardins partagés est toujours une vie en rose. Après dix ans ans d’expérience, il est temps de faire le bilan et de procéder à des ajustements. On peut considérer que le bilan a été fait par les Ateliers pour les dix ans de la Charte main verte organisé par l’Agence d’Ecologie urbaine (Juin 2013). Le compte-rendu de ces ateliers témoigne d’une grande richesse d’expériences mais, en général, ils ont laissé aux participants un sentiment d’ inabouti. Sans doute parce qu’il n’en est rien sorti de concret.

J’aurais beaucoup de choses à dire sur la question mais je me bornerai ici aux points qui font consensus au sein de Jardizneuf (Comité de liaison des jardins partagés du XIXème ) et ont été rendus publics sous forme d’adresse aux candidats aux récentes élections municipales :

  • possibilité d’adhésion des jardins de pied d’immeuble à la Charte main verte  ;
  • indépendance vis à vis du cahier des charges des paysagistes en ce qui concerne les jardins partagés situés à l’intérieur des jardins publics ;
  • possibilité des jardins de pleine terre (contre le "tout en bac") ;
  • des jardins avec des arbres, des haies, des mares ;
  • des espaces de mutualisation ( des outils, des semis, etc…) ;
  • une assistance fournie par les jardiniers de la Ville. .

On retombe alors sur la question de savoir si la Ville veut bien accorder, à défaut d’autogestion, un certain degré d’autonomie et d’initiative aux habitants. Exemple : la question des arbres . Vergers urbains est en train de prouver qu’on peut mettre des fruitiers dans la ville sans déclencher de catastrophe et d’ailleurs il y a depuis très longtemps des fruitiers palissés au Potager des oiseaux. De nombreux jardins sont désireux de suivre ces exemples. Fabiennne Giboudeaux a encouragé ce mouvement. Pourtant, c’est encore théoriquement interdit….

Dans la capitale, la profession d’architecte- paysagiste s’est affirmée ou pour le moins réaffirmée ces dernières années comme maître d’œuvre de la création de paysages urbains, se faisant, non sans lutte, sa place entre urbanistes et architectes. C’est sans doute une bonne chose. Mais il ne faudrait pas que cela débouche sur une volonté corporatiste de tout vouloir contrôler. Encore une fois , l’habitant a besoin aujourd’hui de desserrer le nœud coulant d’un aménagement formaté de son paysage. Il veut se créer de petits bouts de paysages à lui. Or l’usage est que le jardin est d’abord dessiné par le paysagiste. Les jardiniers arrivent ensuite : tout est verrouillé . Il faut notamment respecter la charte prévue par l’homme ou la femme de l’art. Les adhérents des jardins partagés ne seront pas une main d’ oeuvre gratuite au service du chef d’oeuvre d’artistes aussi géniaux soient-ils. Pour ça, il y a des jardiniers professionnels (dont on ferait bien de prendre l’avis également). Le bon exemple de collaboration entre paysagistes et habitants est aujourd’hui fournie par le jardin des Thermopyles (14ème) co-créé par les habitants et les paysagistes de Chifoumi

Grand absent de toutes ces discussions qui le concernent au premier chef, l’habitant- jardinier voudrait pouvoir jardinier réellement, c’est à dire en pleine terre. Sous prétexte de pollution, et aussi faute de budget, la ville aménage de plus en plus de jardins en bacs . Restrictions budgétaires oblige la ville ne fournit pas les couches-culotte complément naturel de ces bacs à sable à jardiner.

Lors des rencontres de l’école Du Breuil, un gestionnaire d’un jardin public s’est indigné de trouver un tas de pavés dans le jardin partagé inclus dans « son » jardin. Ce gestionnaire n’avait pas à intervenir dans ce jardin partagé puisque celui-ci relève de l’Agence d’écologie urbaine. Mais ce qui est surtout important, c’est que, au lieu de sortir, en jubilant, son carnet à souche, le gendarme de Saint-Tropez aurait pu s’enquérir de pourquoi ces pavés : construire une spirale aromatique , c’est, en principe, utile à la biodiversité . Ses conseils, voire son aide, voilà ce qu’attendent de lui les contribuables qui payent son salaire.

Au final, ce que mettent en évidence pour moi ces rendez-vous ratés, c’est l’urgence de croiser réellement les expériences de tous ceux, très nombreux mais très dispersés, qui inventent en ce moment avec bonheur de nouveaux rapports entre les habitants, la ville et le végétal.

De construire un vrai réseau des jardins partagés incluant les jardins de pied d’immeuble , de faire de la Charte Main verte un bien commun élaboré par tous les jardiniers au lieu de la vénérer comme Table de la Loi. De mettre fin au décalage qui existe entre la vie foisonnante des jardins partagés et l’expression édulcorée qui est aujourd’hui trop souvent de mise.

Post-Scriptum

NB : Je n’évoque pas ici le mouvement purement militant (Utopies concrètes,Guerilla gardening, Incroyables comestibles, etc…) , autre partie émergée de l’iceberg. Ce mouvement tisse naturellement des liens avec les jardins partagés . Il appartient à ses composantes de savoir si elles veulent un jour converger mais j’appelle quant à moi cette convergence de mes vœux.

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